RCHIVES

 

L’Association des Anciens Elèves du Lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand au début du XXème siècle

conférence de Raymond Guillaneuf

Président honoraire de l’Association des anciens élèves du Lycée Blaise-Pascal, Professeur Retraité, Ancien Elève (1943-1951)

 

 

Pour bien comprendre ce qu’était « l’Association des Anciens Elèves du Lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand au début du XXème siècle », il convient d’abord d’évoquer la vie du Lycée lui-même à cette époque. Nous la connaissons assez bien grâce aux recherches faites par un ancien élève qui enseigna ensuite longtemps l’histoire et la géographie au lycée, Victor DANTON. Ces recherches donnèrent lieu à une communication faite aux « Amis du vieux Clermont » au début de l’année 1987, à l’instigation de notre ancien président Pierre POCHET.

 

            Le Lycée – qui avait l’originalité de compter, seul dans l’Académie, une classe préparatoire à Polytechnique et à Saint-Cyr – comptait un effectif moyen de 650 à 675 élèves. Les conditions de vie des élèves étaient assez rudimentaires, en particulier celles des pensionnaires, car les bâtiments étaient vétustes. Les dortoirs et salles d’études étaient surchargés, l’éclairage au gaz insuffisant. Les salles de classe, ne s’aérant que d’un seul côté, rendaient difficile l’application des règles d’hygiène. Toutefois l’alimentation des internes donnait satisfaction aux familles.

 

            La majorité des élèves s’orientait vers les études classiques, mais un enseignement secondaire spécial, destiné à donner une formation professionnelle active, avait été créé, qui disparut en 1902. A ce moment, une réforme fut adoptée, qui maintenait la primauté de l’enseignement classique, mais organisait un enseignement moderne donnant une place importante aux sciences et aux langues.

           

Les professeurs dispensent leur enseignement avec l’assistance des répétiteurs. L’année scolaire commence le 1er octobre. Jusqu’en 1902, on célèbre la messe du Saint-Esprit dans les chapelles des deux Lycées, le grand et le petit. Les professeurs sont tenus à certaines obligations morales : visite, derrière leur proviseur, au nouveau préfet en 1890 et en 1897, au nouveau général en chef en 1899, présentation, en 1893, par le proviseur, des professeurs et des élèves au nouvel évêque. Pour les cérémonies officielles ou les obsèques d’un personnage important, les professeurs sont tenus de revêtir la toge.

 

Jean Giraudoux, arbitre de rugby !

 

            Au chapitre des distractions, les internes assistent à des pièces classiques au théâtre. Le jeudi est consacré à la promenade en tenue impeccable. Il y a aussi des compétitions de tir, des spectacles de prestidigitation, de cirque. En 1897, les élèves découvrent une nouveauté : une séance de cinématographe. En 1895, les grands élèves peuvent s’initier à un nouveau sport, qu’on appelle « foot-ball », mais qui se pratique avec un ballon ovale et qui est le rugby. En 1900, une société sportive se crée au lycée : c’est l’IRIS du Lycée Blaise-Pascal. Cette équipe affrontera en 1903 les adeptes du rugby des Lycées de Montluçon et d’Aurillac. Le match entre les Lycées de Clermont et d’Aurillac est arbitré par un élève de l’Ecole Normale Supérieure qui s’illustrera dans d’autres domaines : c’est Jean Giraudoux. L’année scolaire est coupée par les vacances trimestrielles plus courtes qu’aujourd’hui : dix jours à Noël, quinze à Pâques. Les examens se passent au début juillet et l’année scolaire s’arrête à la veille de la Fête Nationale.

 

            L’Association des Anciens Elèves suit de près la vie du lycée. J’ai pu reconstituer, du moins en partie, son activité, grâce à la petite collection de bulletins de l’Association – 1894 à 1910 – que m’avait confiée notre camarade Patrick POCHET et qui avait été conservée par son père qui fut, lui aussi, membre de l’Association.

 

L’Association avait été créée en 1867 et reconnue d’utilité publique en 1878 grâce à l’entregent du Ministre de l’Instruction Publique d’alors, Agénor BARDOUX, qui avait présidé l’Association de 1875 à 1877. Le Bulletin, édité annuellement, publie les statuts, la liste des adhérents, le compte-rendu de l’Assemblée générale et du banquet.

 

            Les adhérents sont rangés en quatre catégories :

 

·        ·        les membres actifs, de loin les plus nombreux, qui disposent de la totalité des droits :voix délibérative à l’Assemblée générale, droit à des « secours », et droit d’obtenir une bourse de l’association pour leurs enfants en cas de difficulté ;

·        ·        les membres pupilles, qui sont les anciens élèves âgés de moins de 25 ans ; ils ne paient pas de cotisation et bénéficient de l’action de « patronage de l’Association » qui s’emploiera (…) « à leur faciliter l’accès d’une carrière » ; ils n’ont que voix consultative à l’Assemblée générale ;

·        ·        les membres honoraires, qui sont « les fonctionnaires ou anciens fonctionnaires » du lycée, ainsi que « les Recteurs et Inspecteurs d’Académie de Clermont, anciens ou en exercice » ; la cotisation est facultative pour eux ; enfin,

·        ·        les « membres fréquentant », qui sont les anciens élèves des Collèges et Lycées français ; ils paient la même cotisation que les membres actifs, mais n’ont que voix consultative ; ils semblent avoir été très peu nombreux.

 

Adhérents ou cotisants ?

 

            Si l’on se réfère aux listes publiées, l’Association est puissante, puisqu’au cours de la période que j’ai étudiée (1894-1910), elle regroupe 227 ( en 1894) à 381 ( en 1910) membres, avec une pointe à 507 en 1904. Mais les chiffres sont trompeurs, car beaucoup  d’adhérents ne règlent pas leurs cotisations : en 1894,  164 cotisations sont perçues pour 227 inscrits. En 1900, le président déplore qu’ »avec une liste de plus de 300 noms, il n’y ait que 160 à 170 cotisants réels ». En 1903, il n’y a que 243 cotisants pour 469 inscrits. En 1907, le chiffre est de 245 cotisants pour 417 inscrits. A plusieurs reprises, lors de l’Assemblée générale, on regrette le peu d’empressement des membres à remplir leurs obligations financières : en 1900, le président ALBERT déplore que « beaucoup parmi les inscrits, par insouciance ou pour d’autres causes, négligent le plus essentiel de leurs devoirs, le paiement de la cotisation, de telle sorte qu’avec une liste comprenant plus de 300 noms les recettes, depuis quelques années, ne dépassent guère 1600 à 1700 francs ». En 1904, l’Assemblée générale vote une motion qui « considère que la rentrée des cotisations ne s’opère pas d’une façon régulière et que des membres n’ayant pas versé depuis une, deux et même trois années et plus, c’est-à-dire se désintéressant parfaitement de la prospérité de l’Association, continuent à figurer sur la liste de ses membres », et la motion invite le trésorier à rendre compte à l’Association des cotisations non perçues, afin que « celle-ci statue sur le maintien ou la radiation des membres qui se sont mis en retard sans excuse valable ». Mais cette motion semble de peu d’effet, puisqu’en 1907 on constate qu’encore 226 anciens élèves sur 471 inscrits n’ont pas payé, donc près de la moitié !

 

            En ce qui concerne les membres pupilles, la situation n’est pas plus satisfaisante. En 1899, le président constate que « chaque année les élèves sortants, sollicités par une délégation du bureau, se font inscrire en grand nombre (…) C’est comme une pépinière d’où sortent chaque année des recrues qui viennent remplacer les partants, augmenter et rajeunir nos effectifs ». La réalité est moins réjouissante : les calculs, auxquels je me suis livré, m’ont montré que, selon les années, 5 à 10% seulement des membres pupilles réglèrent leurs cotisations pour devenir membres actifs de l’Association. Au demeurant, le président le regrette en 1907, en notant que l’Association ne recrute au plus qu’une vingtaine d’adhérents chaque année, ce qui comble tout juste les départs et les décès.

Recruter, un souci de toujours

 

            Aussi, à plusieurs reprises, s’efforce-t-on de trouver des moyens pour recruter. En 1899, le président FELGERES souhaite que l’on s’en préoccupe : « nous avons l’action du prosélytisme qui s’exerce dans les milieux où chacun de nous peut se rencontrer, et soyez persuadés que les membres de votre Bureau ne plaignent à l’occasion ni leurs démarches, ni leurs paroles pour amener de nouvelles adhésions : en leur nom et au mien, je ne saurais trop vous prier de penser de temps en temps à notre Association en sollicitant les anciens camarades rencontrés sur le chemin de la vie ».

 

En 1904, le président DESDEVISES DU DEZERT se réjouit que l’Association ait rendu de nombreux services : « Elle ferait mieux encore », dit-il, « si le sentiment de solidarité qui doit relier entre eux tous les anciens élèves (…) était mieux compris et plus répandu parmi nous. Elle n’oublie pas qu’elle doit être avant tout une société de bienfaisance et d’assistance mutuelle ». Il « estime que (pour attirer les anciens élèves) il serait utile de faire des conférences, auprès des élèves finissant leurs classes, sur le but de l’Association et insiste beaucoup sur le prosélytisme individuel des camarades adhérents auprès des élèves contemporains ».

 

Plus des trois quarts du budget pour des actions de solidarité

 

C’est qu’en effet l’action de l’Association est relativement importante dans le domaine de la solidarité, puisqu’elle lui consacre plus des trois quarts de son budget. Celui-ci se situe, dans la période considérée, autour de 4000 francs par an, ce qui correspond, d’après mes calculs, à environ 8000 euros.

 

Les recettes de l’Association sont limitées : une bonne moitié provient des cotisations annuelles, et pour l’autre des revenus de l’argent placé sur la rente à 3%, placement de père de famille. La cotisation, fixée dans les statuts de 1867 à 10 francs, ne variera pas jusqu’en 1914. Une cotisation à 100 francs est prévue pour les membres fondateurs, qui sont des membres actifs réglant leur cotisation en une seule fois et pour la durée de leur vie. Il y en a seulement 5 en 1894, et 10 en 1910. Mais les sommes versées ont permis de constituer un capital, qui sera considérablement augmenté par les fondations de deux membres, VIMAL et surtout BARGOIN, créées au profit de l’Association par les testaments de ces deux anciens élèves. Le legs BARGOIN était considérable puisque de l’ordre de 16000 francs –environ 32000 euros aujourd’hui. BARGOIN (1813-1885), pharmacien, avait présidé l’association de 1880 à 1883. Il a également légué au département du Puy de Dôme sa propriété de Royat, devenue le parc BARGOIN. Il a encore beaucoup contribué, avec son ami LECOQ, à la création à CLERMONT des deux musées, qui portent leurs noms. Dans le même ordre d’idée, il convient de citer un autre camarade particulièrement généreux, MONT-LOUIS, qui, en 1898, fait un don de 200 francs à l’Association, pour qu’elle continue d’accorder des médailles d’or aux élèves méritants, alors que l’Assemblée générale semblait vouloir suivre une proposition tendant à distribuer des médailles de vermeil, qui coûtaient précisément 200 francs de moins que les médailles d’or.

 

Quant aux dépenses, les deux tiers sont consacrés à des bourses (2, 3 ou 4) accordées à des élèves méritants. Un dixième du budget permet l’achat des médailles d’or qui récompensent les quatre meilleurs élèves du Lycée : celui de la section Lettres, celui de la section Sciences, celui de la section Spéciale Professionnelle qui deviendra la section Moderne en 1902, enfin le meilleur élève du Petit Lycée. A partir de 1906, les médailles sont remplacées par des livres, mais des ouvrages importants, par exemple :

 

·        ·        Les Merveilles de la Nature de BRAHM, en 10 volumes

·        ·        L’Europe et la Révolution Française de SOREL, en 8 volumes

·        ·        L’Histoire des Institutions Politiques de l’Ancienne France de FUSTEL DE COULANGES, en 6 volumes, etc.

 

Quelquefois, mais il semble y avoir eu peu de demandes, des secours sont accordés à des membres de l’Association ou à leurs familles en difficulté. Enfin, un quart du budget est consacré aux frais d’administration, à l’achat de gerbes pour les camarades décédés, etc. En 1905, de nouvelles bourses sont créées : ce sont deux bourses de vacances d’un montant de 300 francs (environ 600 euros) chacune, pour permettre à deux excellents élèves de se rendre, l’un en Allemagne, l’autre en Angleterre ; l’un et l’autre font un rapport à leur retour, qui recueille généralement les félicitations de leurs professeurs. Devant le succès remporté par ces bourses, en 1907, le président MONT-LOUIS ne manque pas de faire appel aux membres de l’Association : « Nous souhaitons que de généreux donateurs nous mettent à même de distribuer chaque année un plus grand nombre de bourses de vacances. Notre appel de l’an dernier n’a pas été entendu. Espérons qu’il n’en sera pas de même de celui de cette année ».

 

            On note parfois une dépense exceptionnelle, par exemple en 1894 « une soirée offerte aux élèves du Lycée » : une représentation théâtrale suivie d’une conférence du professeur DESDEVISES DU DEZERT, membre de l’Association qu’il présidera de 1902 à 1905. Sa conférence, publiée par le bulletin, est d’une forme parfaite et d’une grande élévation de pensée. Mais intéressa-t-elle les élèves ? En tout cas, l’expérience ne fut pas renouvelée.

 

            Autre dépense exceptionnelle : en 1901, la commande « d’une plaque commémorative destinée à rappeler le souvenir des camarades morts pour la patrie » ; on y inscrit les noms des anciens élèves morts pendant l’expédition du Mexique, au cours des années 1860, la guerre de 1870-1871 et les expéditions coloniales nombreuses à la fin du XIXème siècle. Mais l’Association ne connaît pas toujours les noms de ceux qui ont  laissé leur vie dans ces guerres, ce qui lui vaut quelques rappels à l’ordre, notamment celui du célèbre romancier Paul BOURGET, membre de l’Académie Française et de l’Association, qui s’étonne qu’on ait omis le nom de son frère Félix, qui a « trouvé une mort glorieuse » lors de la conquête de Madagascar ; l’erreur est rapidement réparée.

 

            On notera encore, en 1907, le vote d’une allocation de 25 francs (50 euros) en faveur de l’IRIS « dont les dépenses se trouvent considérablement augmentées par suite de l’organisation du tir à l’arme de guerre » - ce qui annonce peut-être une période guerrière. Cette allocation sera renouvelée et augmentée les années suivantes.

 

            Enfin, en 1904, l’Association organise, grâce à des subventions de la ville de Clermont et du Département, le Congrès de l’Union des Associations d’Anciens Elèves des Lycées et Collèges de France et d’Algérie. L’Association de Clermont avait été une des premières à souhaiter la création de cette Union . Elle avait reçu l’appui d’autres Associations, dont celle du Lycée de Marseille, qui avait organisé le premier congrès en 1902, auquel déjà 96 Associations avaient participé. Ce congrès de Clermont-Ferrand se tient avec un grand succès.

 

L’Assemblée générale est suivie d’un banquet

 

            Le budget était adopté lors de l’Assemblée générale : celle-ci avait toujours lieu le 10 novembre – une seule exception en 1904, où elle se tint le 11 novembre. L’Assemblée générale se réunit à « 7 heures » du soir. Les participants sont peu nombreux par rapport à l’effectif : de 40 à 60 selon les années. Le budget est présenté et adopté. Le président prononce l’éloge funèbre des camarades décédés durant l’année ; puis il présente son rapport d’activité ; enfin le tiers sortant du comité – 5 membres – est renouvelé. Les élections, qui se déroulent au scrutin secret, semblent avoir été assez disputées : en 1899, sur les cinq sortants, tous candidats, un seul – le président sortant FELGERES – est réélu. En 1900, sur les cinq sortants, trois seulement retrouvent leur siège. Jamais, dans cette période, on n’assiste à la réélection de tous les sortants.

 

            Le banquet, qui suit l’Assemblée générale, commence vers 20 heures pour se terminer le plus souvent au-delà de minuit, car il est toujours clos par un « spectacle musical ». Les participants sont relativement peu nombreux : à peu près le même nombre qu’à l’Assemblée générale. Le Recteur de l’Académie y assiste ou se fait représenter. L’Inspecteur d’Académie, le Proviseur, le Censeur, le Directeur du Petit Lycée sont également conviés, ainsi que les quatre élèves récompensés par l’Association au mois de juillet précédent. Des discours sont prononcés par le Président et le Recteur, et parfois d’autres convives de marque, comme le Maire de Clermont.

 

 Le discours du président lui permet de présenter les revendications de l’Association. Dès la fin du XIXème siècle, celle-ci demande à participer aux travaux du Conseil d’Administration du Lycée pour « y porter les demandes des pères de famille ». Elle obtient satisfaction en 1904, où un de ses membres est nommé au Conseil. Malgré la création, en 1909, d’une Association des Parents d’Elèves qui obtient également un siège au Conseil, l’Association des Anciens Elèves conservera le sien, ce qui la réjouit « car il faut être nombreux à travailler à la prospérité du Lycée », dit le président Charles FABRE : « l’intérêt de l’Université n’est au fond que l’intérêt des familles : donner satisfaction aux uns, c’est donner satisfaction à l’autre », ajoute-t-il.

 

 

Les « classes ténébreuses » cachent un enseignement souvent brillant

 

En 1907, le président MONT-LOUIS, reprenant une proposition de DESDEVISES DU DEZERT qui avait dénoncé « les classes ténébreuses du Grand Lycée », préconise la construction d’un nouveau lycée, le vieux bâtiment lui semblant difficile à améliorer étant donné sa vétusté. Le maire de Clermont, Charles FABRE, membre de l’Association, qu’il présidera de 1908 à 1911, n’est pas favorable à cette idée. Tout d’abord, la construction d’un nouveau lycée coûterait environ deux millions de francs ( quatre millions d’euros ) dont la moitié à la charge de la ville de Clermont ; en second lieu, aucun emplacement n’est, selon le maire, disponible en centre-ville ; enfin et surtout, le vieux lycée « présente bien des charmes » ; « on lui reproche son apparence de prison, ses classes insuffisamment éclairées, mais on peut toujours rajeunir une construction et y faire pénétrer l’air et la lumière. Ses cours sont peu spacieuses, je l’admets, mais bien orientées et la place Michel de l’Hospital, dont un simple mur les sépare, en élargit l’horizon »… »enfin, croyez-vous que les générations d’élèves qui, depuis trois siècles s’y succèdent, ont subi jamais l’impression mélancolique qui se dégage de ces murailles grises ? Les enfants ont en eux un contentement de vivre, une bonne humeur naturelle invincible aux tristesses qui les entourent, et c’est parce que nos banquets sont pleins de souvenirs de cette heureuse époque, que nous y retrouvons un peu de notre gaîté d’autrefois ».

 

S’il est vrai qu’en 1909 Charles FABRE  fit entreprendre d’importants travaux pour moderniser un peu le vieux bâtiment, je ne suis pas sûr qu’il le rendit beaucoup plus lumineux, et près d’un demi-siècle plus tard j’eus le sentiment, en pénétrant dans ses salles de classe, d’enter dans des caves. Mais Charles FABRE n’avait tout de même pas entièrement tort, puisque l’obscurité et l’austérité du bâtiment étaient compensées par la luminosité d’un enseignement souvent brillant et celle de la jeunesse. Ce vieux bahut avait une âme que je ne suis pas certain qu’on retrouve dans le bel ensemble qui a pris sa succession…

 

Les spectacles, qui suivent le banquet, semblent avoir été très variés, mais de qualité. J’en citerai deux exemples. En 1900, « l’étoile de la soirée a été Mme AUSSOURD, de l’Opéra Comique, qui, dans tous les numéros du programme, a charmé l’auditoire par sa voix exquise et son talent de diction. La délicieuse « prima donna »a mis le comble à son amabilité en disant au pied levé l’air de Rosine du Barbier de Séville (…) Mr YVONNECK, un jeune gars breton de la plus fière allure, a détaillé avec une voix chaude et vibrante les charmants couplets du répertoire des chansons de Mr BOTREL. Mr LAFAGE, chargé de donner la note comique, a provoqué par sa verve désopilante les fous-rires des auditeurs ». En 1908, « le maître CHIZALET (…) a enthousiasmé son auditoire en interprétant avec le grand talent, la virtuosité, le charme qu’on lui connaît le Chant d’amour de CASILLA, la Gavotte de POPPER », etc. « Dans la suite l’on a tour à tour applaudi quelques artistes de la Jeunesse lyrique, notamment Mr CHASSAGNE, un baryton qui chante avec goût des chansons anciennes, Mr FAVY, un bon comique, Mr LAVAL, très gai dans des chansonnettes militaires ». Le compte-rendu cite encore un chanteur qui a présenté « une revuette en trente-six couplets, sentimentale et quelque peu rosse, A travers Clermont », un autre « qui a soulevé des fous-rires « , en donnant lecture de « la lettre d’un cuirassier allemand à ses parents ». Le succès de ces soirées donne une indication sur les goûts et préoccupations de nos anciens : la légèreté de la « Belle Epoque » sans doute, mais aussi l’inimitié envers l’Allemand qu’on brocarde.

 

Liberté, tolérance et respect de l’autre

 

Si l’Association s’interdit – à cette époque comme aujourd’hui – toute discussion politique, - et c’est fort heureux -, elle ne vit pas hors du monde : au détour d’une phrase, on voit l’attachement de nos anciens à la République, à la Démocratie, à la Nation. C’est DESDEVISES DU DEZERT, sans doute l’un des plus prestigieux présidents de l’Association, qui me semble le mieux refléter cet état d’esprit. Il manifeste une hostilité certaine à l’Empire, auquel la République avait succédé depuis guère plus d’un quart de siècle : parlant de la désastreuse guerre du Mexique, il condamne « cette folle expédition voulue par un pouvoir chimérique, à l’heure où la France dispensait en prodigue ses ressources et ses forces ». Au contraire, on trouve à plusieurs reprises dans ses propos l’éloge de la liberté : » ce qu’on apprend (au lycée) pour tout de bon et pour ne plus l’oublier, c’est le culte de la science, l’amour de la liberté, l’horreur de l’hypocrisie et de la traîtrise (…) Tout en nous donnant des principes généraux qui nous font tous des hommes de notre temps et citoyens de la même patrie, l’Université n’a garde de vouloir nous couler tous dans le même moule uniforme : elle est respectueuse de notre personnalité ».

 

C’est dans cet esprit que l’Association défend l’enseignement donné au Lycée : elle approuve chaleureusement le Recteur COVILLE quand il dit en 1909 : « quant à l’éducation et à l’instruction, elles sont restées, quoiqu’on dise, ce que vous les avez connues, ce qu’elles vous ont faits. On a parlé d’anarchie intellectuelle. Un académicien, égaré dans le politique, a opposé, en particulier au Lycée de Clermont, les vieux professeurs d’autrefois, dignes de toute confiance, à nos jeunes professeurs, intellectuels démoralisés et démoralisants. Je pourrais vous citer les noms de nos professeurs, (…) hommes sages et mûrs, fidèles à toutes les nobles traditions et vous verrez si ce sont des professeurs d’anarchie ! Notre éducation est faite de libéralisme, de largeur d’esprit, d’amour de la vérité. Mais aujourd’hui ce qu’on pardonne le moins, ce qui est le plus dangereux entre les extrêmes, c’est le libéralisme, la largeur d’esprit, le scrupule de la vérité. Notre ambition, fidèle à notre passé, vous la soutiendrez. N’êtes-vous pas d’ailleurs la tradition vivante du Lycée ? »

 

Cette mission, confiée à nos anciens il y a près d’un siècle, n’est-elle pas plus que jamais d’actualité ? La liberté, la tolérance, le respect de l’autre ne sont-ils pas les valeurs essentielles de notre société, que nous avons apprises au Lycée et qui constituent notre lien ? Je le crois, et j’espère que notre vieille Association saura les conserver, tout en les faisant connaître aux jeunes, pour qu’ils viennent nous épauler et resserrer nos liens d’amitié.

 

Conférence prononcée lors de l’Assemblée générale de l’Association,

le 8 décembre 2002

 

Retour accueil