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Pompéi, Herculanum et alentour - les cités ensevelies et leur décor.

par Jean-Michel Croisille, professeur émérite de l’université de Clermont-Ferrand et ancien de notre lycée,

     Les vestiges des cités ensevelies par le Vésuve en 79 de notre ère ont commencé à être mis au jour au XVIIIème siècle et les fouilles se sont poursuivies depuis lors de façon inégale selon les vicissitudes de l’histoire. Les découvertes ont permis de se faire une idée relativement précise du mode de vie, des croyances et de la culture des habitants de cités modestes, dont la plus importante n’atteignait pas 20000 personnes.
    Je voudrais ici essayer de faire le point sur l’état actuel de ces sites que je fréquente depuis plus d’un demi-siècle. Je m’attarderai ensuite sur un aspect important du décor des ensembles bâtis, principalement des demeures individuelles, où pratiquement toutes les parois étaient revêtues de peintures, révélatrices du goût et des préoccupation spirituelles de leurs habitants. Pour cela j’ai choisi trois exemples qui me paraissent significatifs : il s’agit de trois sites résidentiels implantés non loin des cités de Pompéi, Herculanum et Stabies, aux lieux-dits Boscoreale, Oplontis et San Marco. A partir de ces exemples, on peut se faire une idée de l’évolution de la décoration picturale au cours des deux siècles qui ont précédé l’éruption.

I. Les sites et l’évolution des découvertes

     C’est sur le site d’Herculanum que les premières découvertes significatives ont été faites à partir du premier tiers du XVIIIème siècle par l’intermédiaire de forages et de galeries creusées dans le matériau visqueux coulant du volcan et figé sur près de 20m d’épaisseur. Mais les vestiges sculpturaux et picturaux extraits du sous-sol furent transportés dans des musées, principalement à Naples. Cette première période, au cours de laquelle on découvrit le théâtre et la Basilique, se termina en 1765 et l’on abandonna assez vite ce lieu de fouilles au profit de Pompéi, cité plus éloignée du Vésuve et ensevelie sous une couche de fragments pierreux et de cendres pouvant atteindre 4 à 5m et relativement facile à creuser.

    Le site d’Herculanum, dont seuls quelques quartiers furent ensuite visités, lors de fouilles sporadiques menées entre 1828 et 1875, fut alors délaissé jusqu’à l’époque contemporaine. Ce ne fut qu’à partir de 1927, sous le gouvernement mussolinien, que fut entreprise une mise au jour systématique du site sous l’impulsion d’Amedeo Maiuri, grande figure de l’archéologie en Campanie, qui a publié tardivement un premier volume sur ses travaux. Dans les dernières décennies, on a exploré le secteur de l’ancien rivage, ainsi que celui de la Villa des Papyrus et de l’insula N-E, mais la protection des zones fouillées reste bien insuffisante.

     L’emplacement de Pompéi, que la tradition ancienne avait baptisé Cività, fut l’objet, au XVIème siècle, de quelques sondages qui permirent de trouver des inscriptions et des peintures. Mais ce n’est qu’au milieu du XVIIIème siècle que commencèrent des fouilles, poursuivies sans interruption, avec notamment, dans les premières décennies du XIXème siècle, la mise au jour du forum et de plusieurs maisons importantes. A partir de 1860, sous l’impulsion décisive de Giuseppe Fiorelli, commence une nouvelle ère dans les investigations systématiques des vestiges. C’est à lui que l’on doit le procédé ingénieux de moulages des corps et de divers objets par injection de plâtre liquide dans les empreintes laissées à l’intérieur de la gangue solidifiée constituée par la couche de lapilli et de cendres qui ensevelit la cité. De nombreuses villas, aujourd’hui célèbres, comme celle des Vettii, des Noces d’Argent, des Amours Dorés, furent exhumées et restaurées jusqu’à la fin du siècle. Au XXème siècle les fouilles se poursuivent, en particulier le long de la Via dell’Abbondanza, principal decumanus de la cité, sous l’impulsion de Vittorio Spinazzola. Les résultats n’en seront publiés qu’après 1950. On fouille aussi la Villa des Mystères, la Maison du Ménandre, la Grande Palestre.
L’activité inlassable d’Amedeo Maiuri s’exerce jusqu’à sa mort en 1963 : c’est à lui que l’on doit notamment la publication des deux villas précédemment citées, ainsi que de nombreux ouvrages d’ensemble sur les sites de Pompéi et d’Herculanum.

    Ensuite, les responsables successifs des deux sites tenteront de préserver les vestiges découverts avec des fortunes diverses, mais les investigations resteront sporadiques, avec en particulier à Pompéi les fouilles de la zone de la Porta Marina et celles d’un ensemble significatif le long de la Via dell’Abbondanza (Maison dite des Chastes Amants).

    Aujourd’hui les dégradations dues aux phénomènes météorologiques, aux vols, à la malveillance, ne cessent de se multiplier, provoquant la fermeture de secteurs entiers des cités en raison des risques d’écroulement, cela malgré les efforts importants accomplis pour conserver les ruines en leur état. Les contributions financières de l’état italien et des organismes internationaux restent insuffisantes devant l’ampleur de la tâche. Il est à craindre que bien des trésors archéologiques disparaissent de façon irrémédiable, si un élan nouveau ne contribue à la préservation de ces témoins uniques de la vie quotidienne à l’apogée de l’époque romaine.

    Au jourd’hui un tiers environ de la cité de Pompéi reste enseveli. Sur 9 régions, 4 n’ont été que partiellement fouillées (1, 3, 4, 5, 9). A Herculanum, il est plus difficile d’évaluer l’étendue qui reste à découvrir, mais celle-ci doit être au moins double de celle qui est actuellement visible (fig. 2). Chaque région pompéienne possède une organisation en insulae, au sein desquelles un numéro est attribué aux maisons ou aux monuments publics. A Herculanum, la partie mise au jour consiste en 6 insulae, dont 2 incomplètement explorées (insulae 1 et 2), avec le même système de numérotation pour les édifices.



     Les voies de communication interne se coupent à angle droit, avec distinction entre decumani(voies est-ouest) et cardines (voies nord-sud). Une fortification périmétrique est visible à Pompéi, flanquée de tours quadrangulaires.

2. Les principaux monuments

     Ce n’est qu’à Pompéi que le forum de la cité, fouillé à partir du début du XIXème siècle, est visible, dominé par le temple de la Triade Capitoline et bordé des édifices municipaux ainsi que du Macellum, de deux sanctuaires, de la basilique et d’un grand marché destiné à la vente de la laine.

    A Herculanum, le quartier du forum n’a pas encore été découvert. Seul un grand édifice, identifié comme « basilique », a été l’objet d’investigations souterraines qui ont permis de découvrir des peintures monumentales, actuellement au Musée National de Naples.

     Des thermes publics existent dans chaque cité. Il y en a plusieurs à Pompéi, répartis dans la ville, notamment dans la région VII (thermes du Forum et thermes de Stabies).







    Divers monuments sont dédiés au spectacle, notamment un théâtre, un odéon, un amphithéâtre, tous bien conservés et restaurés.

     A Herculanum, un établissement thermal particulièrement bien conservé occupe une bonne part de l’insula VI.







    Le théâtre, toujours enterré, se trouve au N-W de la cité et n’a été fouillé que par galeries.

     A Pompéi, les édifices à caractère religieux figurent surtout autour du forum  ou alentour; il faut noter toutefois, dans la région VIII, l’existence d’un important sanctuaire dédié au culte isiaque. A Herculanum, on ne possède actuellement aucun temple significatif.

     Des édifices à caractère commercial ou destinés aux loisirs existent tant à Pompéi qu’à Herculanum : boulangerie avec meules, ateliers de foulons (préparateurs de tissus à partir de la laine), petits bars avec comptoir extérieur, tavernes, lupanars...

    Parmi les demeures privées, il faut privilégier quelques exemples notoires sur l’un et l’autre site. La différence des procédés de fouille a évidemment permis de mettre au jour à Pompéi un nombre plus grand de constructions, dont la restauration a été entreprise de façon de plus en plus complète, avec maintien in situ des éléments de mobilier, cela surtout à partir du début du XXème siècle. On peut citer les maisons du Faune, des Vettii, des Amours Dorés, du Ménandre, de la Vénus à la Coquille, du Cryptoportique, et, plus récemment fouillées, les villas de Fabius Rufus à l’ouest de la région VII et celle des Chastes Amants (déjà citée), cette dernière appartenant à la zone de la Via dell’Abbondanza. Certaines sont désormais fermées en raison de risques d’écroulement. La villa suburbaine dite des Mystères, célèbre pour une fresque importante relative au culte dionysiaque, est toujours ouverte, mais donne des signes inquiétants de dégradation.

     A Herculanum, de remarquables demeures figuraient le long du front de mer, comme la Maison des Cerfs ou de l’Atrium à Mosaïque. D’autres possèdent des éléments de mobilier, dont le bois carbonisé a été protégé in situ. Les fouilles dues à Amedeo Maiuri ont permis la restitution d’intérieurs domestiques remarquables, mais d’importants dégâts sont à déplorer dans bien des cas. La villa suburbaine dite des Papyrus a été l’objet d’investigations au XVIIIème siècle et des recherches ont été reprises récemment, mais le site reste encore enseveli.

    Ce bref aperçu montre l’importance de ces deux cités, relativement modestes, pour l’archéologie, puisque l’éruption du Vésuve de 79 de notre ère les a figées en pleine activité. Cela permet de se faire une idée précise de l’organisation urbaine, du mode de vie des habitants, notamment dans les domaines politique, économique, culturel et religieux.

3. Les décors muraux

    La plus grande partie des édifices -principalement privés-, dans chaque cité, comportaient, sur leurs parois, des peintures exécutées sur enduit le plus souvent frais, selon la technique de la fresque. Le corpus important constitué par ces décors dépasse de loin toutes les découvertes du même ordre faites soit à Rome même, soit dans la péninsule ou dans les provinces.

    Depuis la fin du XIXème siècle des répertoires et des catalogues ont regroupé les documents en question, dont bon nombre ont été détachés de leur support mural et transportés dans des musées. En 1882, l’allemand A. Mau a proposé un système de classement des peintures murales selon une évolution historique, depuis la fin du IIèmee siècle av. J.-C. (époque où apparaissent les premiers ensembles picturaux) : ce système distingue quatre styles successifs jusqu’à la date de l’éruption du Vésuve. Ce système a été discuté et amélioré, mais reste encore aujourd’hui une référence incontournable.

    Si le Ier style (avant 80 av. J.-C.) ne fait qu’imiter l’aspect de parois en pierre de taille, sans représentation d’éléments figurés, réservant ceux-ci aux pavements en mosaïque, il faut attendre la fin du deuxième tiers du Ier siècle av. J.-C. pour voir apparaître de véritables systèmes picturaux, avec recours au trompe-l’oeil et comportant des constructions architectoniques et des personnages, assez souvent de grandes dimensions. Les ensembles de IIème style s’échelonnent de 80 à 15 environ av. J.-C. La période suivante (entre 15 av. J.-C ; et 55/60 de notre ère) se caractérise par un abandon du trompe-l’oeil architectural et par une sobriété du décor où prédominent les panneaux plats et monochromes, avec souvent des tableaux à personnages miniaturisés en leur centre : c’est ce que l’on nomme IIIème style, dont l’apogée se situe à l’époque augustéenne. Enfin la dernière période (IVème style, entre 55/60 et 79) est une espèce de mélange entre les deux styles précédents, avec de nombreuses variantes : les panneaux plats se mêlent à de fausses architectures, on insiste sur les tableaux à personnages qui apparaissent au centre des compositions pariétales, dont les dimensions peuvent rappeler celles du IIème style, mais avec un traitement plus libre qu’on a pu rapprocher de l’impressionnisme moderne. Y fleurit également un goût pour des tableautins réalistes, où le thème du paysage, voire de la nature morte, est privilégié.

     J’ai choisi ici de replacer dans leur contexte architectural trois ensembles picturaux de très grande qualité, appartenant chacun à des villas suburbaines proches des cités principales. Laissant de côté les vestiges de Ier style qui n’ont qu’un intérêt secondaire sur le plan proprement pictural, on peut, à partir de ces exemples, se faire une idée des caractéristiques essentielles des trois styles suivants.

    A travers ces trois exemples se révèle toute la richesse de l’univers de la peinture d’époque romaine qui n’est pas un simple reflet de celle de la Grèce des IVème/IIIème siècles av. J.-C, comme on a eu tendance à le croire. Dans les cités provinciales de la Campanie, que le Vésuve a anéanties en quelques heures, le décor pariétal des édifices progressivement remis au jour témoigne, dans son évolution historique comme dans les divers aspects de sa thématique, du goût, voire des préoccupations spirituelles et religieuses d’une population au niveau culturel certes inégal, mais toujours soucieuse d’entourer sa vie quotidienne d’un imaginaire qui atteint assez souvent le niveau de l’art véritable.

(Conférence prononcée le 19 octobre 2017)

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