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L'escrime en Auvergne et ailleurs...

par Yves DREYFUS, ancien champion du monde, médaillé olympique et membre de l'association.





(Toutes les images agrémentant ce texte peuvent être obrenues en grande taille par un simple clic)



   J'ai éprouvé, dans les causeries, le plaisir renouvelé et prolongé de l'écriture. Je remercie les organisateurs et les auditeurs qui ont suivi mon monologue. Ils semblaient être intéressés par un sujet totalement différent de ceux, littéraires ou scientifiques, habituellement abordés lors des conférences de notre association. Mon sujet pouvait leur suggérer la découverte d'un domaine nouveau. Quand je parle de sport, tout devient facile, je revis une passion et je tiens à convaincre mon auditoire que le sport fait partie de l'équilibre de la vie et de l'éducation.

   Qu'est-ce que l'escrime ? C'est une activité sportive qui requiert des aptitudes physiques, psychologiques et neurologiques et nécessite puissance musculaire, agilité, capacité d'observation, anticipation et concentration. C'est un sport complet, où le mental est aussi important que le physique pour réagir rapidement aux actions de son adversaire.



   Le sport, que j'ai connu et pratiqué, a changé, comme la vie d'aujourd'hui ne ressemble plus à celle d'hier. L'escrime était aussi bien un sport de plein air qu'un sport de salle. A Paris le dimanche réunissait les compétiteurs dans les allées des jardins publics, dans les cours des lycées, chez le Président de la République à l'Elysée.

   A Clermont, en 1906, au lycée Blaise Pascal c'est le maître Franc qui assurait les cours d'escrime. Remplacer une lame cassée coûtait un franc cinquante. En Auvergne, toutes les stations thermales accueillaient en saison les curistes qui n'oubliaient pas de se déplacer avec leur tenue blanche et leur épée. Le sport permettait de lier entre tous ces escrimeurs une forte amitié, qui se manifestait jusque dans les foyers, chez mes parents par exemple. La gastronomie n'y était pas étrangère. Les sponsors n'existaient pas, il y avait d'heureux donateurs pour les coupes, et les mécènes pour offrir les challenges.

   L'électricité elle-même a joué un rôle important en escrime, puisqu'on en est même venu à l'utiliser dès 1933 pour marquer la réalité des impacts de touches pour l'épée. Plus récemment, le sabre et le fleuret (1955), armes que je ne pratiquais qu'en salle d'armes et très peu en compétition, ont été concernés.



   Cette première photo, qui représente la statue de Vercingétorix tenant une épée, est un clin d'oeil à mes attaches à l'Auvergne et au quartier des Salins qui était mon quartier.



   Pour preuve de l'évolution de la société, j'ai pris l'exemple, en deuxième diapositive, du très grand et fort champion, (dans tous les sens des termes) le nageur Alain Bernard J'aurais pu en citer beaucoup d'autres et dans les activités sportives les plus diverses. Regardez ses épaules et les deltoïdes. Est-ce naturel ? C'est le fruit d'un travail intense de musculation et probablement d'une nourriture adaptée. Que restera-t-il lorsqu'il aura terminé sa carrière sportive ? Si la vieillesse nous déforme, la chute du rajout doit être terrible. J'ai connu et côtoyé des athlètes de "Haut Niveau", expression inventée il y a quelques années : le lillois Debuf médaillé à Melbourne en 1956, le lutteur, champion de France Edmond Leclanché (Tonio, grand résistant), sacrés tous les deux "plus beaux athlètes de France", Connolly champion olympique du lancer du marteau. Ils avaient comme vous et moi une musculature naturelle.

   Aujourd'hui le champion n'existe plus. Il est devenu une star, un gladiateur, un intermittent du spectacle, puisqu'il a choisi un métier qui sera relativement bref. Il participe aux Jeux du Cirque organisés par les chaînes de télévision. Lisez, écoutez les commentaires dits sportifs, le nombre de blessés. Est-ce la vocation du sport ? Nous avons connu un sport sain, sans drogue, ni argent, fait de passion, le loisir après le travail à l'usine ou au bureau. Cette passion a perduré lorsque les résultats venaient à chuter, et que l'âge réclamait l'arrêt des grandes compétitions. Impossible de m'enlever la conviction (même quand on me traite de dinosaure) que le sport est éducatif ou doit l'être. Le sport à l'école fait partie intégrante de l'éducation. C'est le dérivatif aux études. Il est l'équilibre de la santé du corps et de l'esprit, comme constaté par de nombreux enseignants. De plus la compétition est à l'image de la vie pour la plupart d'entre nous, tous les jours, à quelque niveau que ce soit. Le sport apprend à se battre avec les armes loyales, à ne jamais se croire battu, à ne jamais croire que l'on a gagné et il apporte le respect de l'autre


Les règles du sport sont les lois de la vie.
L'arbitre en est le juge.

  Les résultats dépendent du travail.



  Champion est un titre éphémère. La gloire, quand elle existe, est passagère. Les photos qui se succèdent veulent montrer l'origine de ce sport. Issu du besoin de se défendre et d'attaquer, il a évolué au long des siècles, au fur et à mesure que l'homme travaillait la matière de plus en plus finement. Une philosophie accompagnait ce mouvement et intervenait en parallèle dans l'évolution des moeurs.

   L'Armée eut le grand mérite de transformer une arme guerrière en une arme sportive, mais ce fut un long cheminement. Le maître d'armes Ayat, natif de Saint-Myon entre Combronde et Aigueperse, en fut l'un des principaux initiateurs. L'Armée également fut créatrice du sport handicap que l'on croit inventé depuis peu. Il faut rappeler que la Grande Guerre laissa de nombreux estropiés, amputés et aveugles. On tenta de leur redonner une vie proche de la normale. L'escrime fut un outil efficace. Elle garda la réputation d'un sport accessible aux "mal foutus". Les Américains, qui eurent de nombreux blessés, ne restèrent pas indifférents et pratiquèrent l'escrime réparatrice.



   Le sport handicap tient une place qu'il ne faut pas négliger, car il possède des sportifs de Haut Niveau. Les valides peineraient à leur tenir la dragée haute. Il a fallu attendre longtemps pour que l'on reconnaisse la valeur morale et éducative du sport handicap. . Citons la réaction d'Erik Sréki, champion Olympique et double champion du Monde d'épée, qui lors de la séance inaugurale des championnats d'Europe handisports à Vienne (Autriche) disputa un match en dix touches avec le champion paralympique :
"Je ne m'attendais pas à avoir un tel client en face de moi."

   A la question de mon maître Guy Piedfer demandant en 1983, lors des championnats du Monde des valides, au ministre des Sports d'URSS, par le truchement du sabreur Naslimov, professeur de franèais, pourquoi son pays n'avait pas organisé les Jeux paralympiques de Moscou en 1980, il lui fut répondu :
"chez nous, tous les camarades sont égaux."



   Là, je ne suis point historien, mais je reste le passionné qui désire connaître le : d'où vient-on pour savoir on l'on va.

   "Une société qui n'honorerait pas ses anciens, ses héros, ses maîtres, ses champions, ses dirigeants, quelque soit leur statut, serait une société sans âme"
disait Francis Besson (Président des anciens internationaux de tous sports).

   Fidèle à cet adage, j'ai pensé devoir rappeler la mémoire de quelques "grands" tel Lucien Gaudin, qui a imprimé à l'escrime un développement social en créant les cours du soir, d'où sont sortis des champions, et parmi eux Artigas, chef de station de métro, champion du monde à l'épée. Pour Lucien Gaudin, la popularité de cette réussite fut, à mes yeux, aussi importante que son titre de "Hors Classe", le seul jamais décerné à un athlète ou escrimeur. A force de les idéaliser, on s'oblige à travailler, pour progresser, tout en restant humble. Après mes débuts à Clermont et le service militaire effectué, je commence une nouvelle carrière d'escrimeur à l'occasion de ma venue à Lille, (la ville où j'ai connu ma femme, et qui vit naître nos trois fils), Je noue de fidèles amitiés dans le milieu du sport que je fréquente du mieux possible, dans la mesure où les obligations professionnelles sont prioritaires bien entendu



   Il vaut mieux être le dixième à Paris que premier chez soi! Ce qui m'a poussé à partir loin du foyer paternel. Mais je suis resté fidèle à mes racines. J'ai toujours cherché à approfondir mes connaissances. J'ai un esprit curieux des choses et des gens, et, le long des voyages, en de brefs instants, j'ai pu observer les comportements et des manières de vivre différents des nôtres. J'ai fait des rencontres qui ont toujours enrichi mon savoir et nourri ma réflexion: Pierre Boulle, dont la caricature de Marcel Muyard parut dans les pages du journal La Montagne, pratiqua au Cercle d'Escrime de Clermont. Il illustre l'un des personnages les plus importants que j'ai pu rencontrer et quelquefois côtoyer. A Lille, le maître d'armes issu de l'école de Joinville, parfait éducateur, jouissait du respect et de l'admiration de ses élèves, ces camarades avec lesquels je suis toujours en relation quarante ans plus tard. A Rome, Jeux Olympiques pour lesquels je n'avais pas pensé être sélectionné, Nord Matin m'a fait l'honneur d'un bel article. Ma femme et moi avions retenu notre voyage au Club Méditerranée. A l'époque, on défilait au pas. Pour ma part, j'ai ressenti une plus grande émotion dans un défilé organisé, témoignant d'une unité nationale, que dans une équipée plus ou moins fantaisiste.

   



   Le Cercle d'Escrime de Clermont avec lequel je n'avais pas coupé les ponts, malgré mon éloignement, recevait souvent la visite de Delfino, grand champion italien qui venait à Clermont pour son travail chez Michelin. On reconnaît sur cette photo-souvenir le père et l'oncle de notre Président... Les années 1961 à 1967 me virent cumuler les classements de choix et quelques podiums comme à Buenos-Aires, Naples, Gdansk, Moscou et Paris, où j'eus la joie et l'honneur de donner la dernière touche des championnats du monde que mon équipe remporta.



   Une diapo lors des Jeux de Tokyo me montre en survêtement en compagnie de Jazy, le grand coureur de 5000mêtres. Au cours de ma carrière d'international, ce fut un honneur de recevoir, à trois reprises, à l'occasion des Jeux Olympiques auquel j'ai participé, ce vêtement floqué France. Nous considérions que c'était un vêtement de travail. Nous le portions après l'entraînement, et pour circuler dans le village olympique. Nous en prenions soin parce qu'il portait le Coq en écusson. Quand nous étions en stage, après le repas, nous remettions nos tenues de ville pour nous rendre au café ou à la brasserie, afin de ne pas nous laisser aller à l'avachissement, en faisant ce petit effort vestimentaire. Les mains dans les poches, le dos arrondi, appuyé ou vautré, c'est la tenue de l'oisiveté, Le survêtement a pris le nom de training, mot au sens déformé, qui a pris la définition de traîner, ce à quoi il sert maintenant.



   Au village olympique, le confort de nos chambres était très sobre, ce que n'apprécieraient pas aujourd'hui les sélectionnés habitués à un certain luxe dans leurs déplacements. Nous sommes loin de regretter les wagons de bois en troisième classe, et les trains de nuit que nous prenions, car la Fédération n'avait pas les moyens financiers de nous faire voyager en avion ou de payer une nuit supplémentaire à l'hôtel. Nous étions heureux ainsi, n'imaginant pas qu'il pouvait en être autrement et toujours fiers de représenter notre pays.



   Le Général de Gaulle nous reçut à l'Elysée pour remettre, à grand nombre d'entre nous, la médaille de l'ordre National du Mérite.




   Le sport, l'escrime reste un élément fort pour bien vivre, parce qu'on peut la pratiquer jusqu'au dernier souffle. Au Cercle Militaire de Paris je tirais le soir avec l'amiral d'Eon âgé de plus de quatre vingt dix ans et à Clermont, il n'y a pas si longtemps, avec Louis Ayat â:gé de quatre vingt quatorze ans.



   Je reste persuadé qu'un vrai sportif doit avoir en mémoire les paroles de Rudyard Kipling : IF


Tu seras un homme, mon fils

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir
Ou perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour
Pourtant lutter et te défendre;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un seul mot;

Si tu peux rester digne en étant populaire
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout por toi;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Réver, mais sans laisser le rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire

Tu seras un homme, mon fils

Je reste, avec une certaine fierté, je l'avoue, quarante six ans après, le seul médaillé olympique de Clermont-Ferrand.

Conférence prononcée le 11 mai 2010





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