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Un révolutionnaire : Fournier l’Américain

par Edmond GILBERT,  Professeur d’Histoire et Géographie honoraire et membre de l’Association

 

 

 

Résumé : FOURNIER L’AMERICAIN ou la Révolution permanente

                                             

                                Fournier l’Américain n’est pas un géant de la Révolution, un de ceux dont les noms se sont imposés dès l’école primaire. Hors un cénacle d’historiens et d’érudits, sont-ils encore nombreux ceux qui, de nos jours, connaissent le nom de Claude Fournier agrémenté de son surnom ? Même Auzon, la « bonne ville d’Auvergne » où il est né le 19 décembre 1745 n’a pas jugé souhaitable d’honorer sa mémoire : cependant, deux de ses concitoyens sont devenus ses biographes : Henri Doniol, en 1847, Arsène Bonnefoi, dans « L’almanach de Brioude », en 1977 et 1978. Lui-même a évoqué sa vie et surtout sa carrière de révolutionnaire, non sans une naïve outrecuidance, dans ses « Mémoires secrets ».

 

                           Le personnage n’a pas échappé à la tentation accusatrice ou justificatrice, c’est pourquoi je vous entretiendrai des regards qui ont été portés sur lui après avoir mis l’accent sur les faits saillants de sa trajectoire biographique.

 

Claude Fournier est né dans une famille de petite bourgeoisie locale, gens de boutique et de bouche qui vivaient chichement dans l’étroitesse d’une « ville champêtre ». D’un niveau social proche de celui des sectionnaires parisiens qui le suivront lors des journées insurrectionnelles.

 

A peine sorti de l’enfance,  il se fait domestique puis, à dix-neuf ans, il émigre à Saint-Domingue où il devient propriétaire d’une raffinerie de tafia. En 1785, il est accusé de l’avoir délibérément incendiée, il doit quitter l’île et regagner la France  Il s’installe à Paris. Dès lors, sous tous les régimes politiques qui vont se succéder, protestant de son innocence, se considérant comme victime d’un déni de justice, il ne cessera de demander indemnités et réparation. En vain.

              

Est-ce par ressentiment ou par conviction, il se lance à corps perdu dans la révolution. On le trouve parmi les principaux acteurs des journées  insurrectionnelles. Le 14 Juillet il s’empare des armes entreposées aux Invalides et participe activement à la prise de la Bastille. Les 5 et 6 octobre, « la bande à Fournier » suit les femmes des faubourgs à Versailles.

 

Après l’échec de la tentative de fuite du roi, à Varennes, le club des Cordeliers exige sa déchéance , il s’oppose aux monarchiens et fayettistes qui veulent le maintenir dans ses droits et prérogatives. C’est la fusillade du Champ-de-Mars, le 19 juillet 1791. L’Américain accuse Bailly et La Fayette de l’avoir volontairement provoquée.

 

 Il revendique « un rôle important » dans la préparation et le déroulement de la journée du 1O août 1792 qui sonne le glas de la monarchie. Le 9 septembre, le massacre d’une quarantaine de prisonniers à Versailles lui est imputé comme de les avoir dépouillés  des objets précieux qu’ils lui avaient confiés.

 

Après l’échec des journées de mars 93, il se heurte à Marat ce qui lui vaut d’être expulsé du club des Cordeliers et de s’y voir interdit de parole après l’assassinat de l’Ami du Peuple.

 

Mis en accusation, il est emprisonné ce qui lui permet d’échapper aux luttes fratricides qui opposent les Montagnards et d’éviter, peut-être, le couperet. A peine libéré ce sera de nouveau le cachot , depuis lequel il participe encore à la journée du 22 germinal An III, contre les Thermidoriens.

 

La liberté retrouvée, il s’efforce de mener une vie retirée mais il est poursuivi par son passé, réputé homme dangereux, il est déporté à Cayenne sous le Consulat. Revenu en France, il est en prison au château d’If depuis trois ans quand survient la Restauration. A nouveau incarcéré , il sera libéré en 1816. La mort le surprendra le 27 juillet 1825 à près de quatre-vingt ans.

 

Nous avons peu de témoignages de ses contemporains sur Fournier. L’esquisse d’un portrait par Madame Roland a ouvert la voix à suspicion et dénigrement. Sacrifiant aux cendres de Marat, l’un de ses héros, Michelet en fait un « amateur de sang » tandis que Doniol le déclare « non sanguinaire. Publié sous la direction de Jean Tulard, L«Histoire et dictionnaire de la Révolution » (1987-1999) dresse contre lui un véritable réquisitoire.

 

Probablement influencé par Gracchus Babeuf, il fait sienne une théorie opposant deux classes au sein de la Nation, une minorité de profiteurs à la masse des pauvres et des exploités. Son projet d’un établissement des arts et métiers annonce les ateliers sociaux tels que les concevra Louis blanc avant 1848 et ( est-ce trop avancé ?) la création d’unités de production et de vie, de type autogestionnaire, voire kolkozien, assurant le plein emploi, la gratuité de l’école et , par elle, la possibilité d’une promotion sociale pour les enfants des plus déshérités.

 

Refusant une république bourgeoise, dévoué à la cause populaire, ne va-t-il pas jusqu’à préconiser, par la constance de ses engagements, une révolution permanente, visant à parvenir à une parfaite égalité, seule garante, pour tous, des bienfaits de la. Liberté. Aboutissement d’un lent cheminement qu’il faut précipiter. Les journées insurrectionnelles, aussi cruelles puissent-elles paraître, doivent y contribuer.

 

 

1 – Approche

 

 

A vous tous, salut et fraternité !                                                                         

 

Hors le monde des historiens, celui d’Auvergnats érudits ou d’esprits encyclopédiques rarement pris en défaut, En a-t-on seulement entendu parlé… de Fournier ?

Il n’est pas, en effet, un de ces géants de la Révolution dont les noms passent de génération en génération : les Mirabeau, La Fayette, Desmoulins et Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just et, pour nous, Auvergnats, Georges Couthon.

 

Même Auzon, la « bonne ville d’Auvergne » où il est né, le 19 décembre 1745, ne se hasarde pas à honorer sa mémoire. On y évoque, certes, celle des bons seigneurs du Moyen-Age, les Bompards, les Montmorin, mais Fournier, Fi donc ! Un révolutionnaire célèbre, annonce le « Petit Larousse Illustré » des années cinquante mais dont le rôle,  tient-il à préciser, « se réduisit à une série de crimes et d’escroqueries.

 

Auzon : une ville haute agrippée sur le roc d’un éperon, une église collégiale qui a perdu ses chanoines mais a préservé sa singularité romane, un grand château où subsistent quelques vestiges d’un passé depuis longtemps apaisé, un pourtour de collines et le tout proche val d’Allier ou des chemins de pierraille et des sentiers herbeux se prêtent aux randonnées pédestres comme aux rêveries du promeneur solitaire.

 

Si je suis un modeste historien, je ne suis pas modestement Auzonnais, à l’égal des deux biographes de notre héros ( ou anti-héros, vous en jugerez ). A savoir Henri Doniol, jeune magistrat à Riom, qui publia en 1847, dans « La Revue judiciaire », sous forme d’un feuilleton, « Un chef sans-culottes »(sic) et,  plus près de nous, Arsène Bonnefoi qui fut proviseur du lycée d’enseignement général de Montluçon dans les années cinquante. Il fit paraître dans « L’Almanach de Brioude », en 1977 et 1978 : « La Vie aventureuse d’un enfant d’Auzon, Claude Fournier l’Américain ».

 

 Bon !  Encore de l’Histoire à l’ombre d’un clocher, allez-vous penser.

 

Voire…

 

Il n’est pas un seul des dictionnaires usuels, des dictionnaires biographiques ou historiques que j’ai consultés qui ne consacre quelques lignes ou une notice, parfois substantielle, à Fournier l’Américain. Il apparaît au hasard des pages des grandes histoires de la Révolution, à commencer par celle de Michelet. Il n’est pas jusqu’à Google qui aujourd’hui, lui accorde large place.

 

Mais finalement, allez-vous insister, qu’a-t-il fait votre Auzonnais, hors les crimes et les escroqueries qu’on lui impute.

 

Je laisse à Fournier, le soin de vous répondre : « Tout Paris, toute la France connaissent les mémoires ( il s’agit d’écrits qu’il a publié de 1784 à 1788 ). On n’avait pas encore vu en ce temps là écrire contre le despotisme avec une vigueur pareille » et d’ajouter qu’il a sans doute « donné le branle à le Révolution ». Avec la même modestie, il évoque les hésitations de La Fayette, le 5 octobre 1789. Il trouve le « sycophante …en train d’écrire des motions » ; il l’apostrophe et lui « enjoint » (le verbe est de lui) d’emmener à Versailles la garde nationale et les patriotes, que pensez-vous que fit La Fayette : « Il obéit ».

 

Et surtout, n’allez-pas vous imaginer que notre personnage est un ascendant de Tartarin de Tarascon, il est bien d’Auzon !

 

Trêve de plaisanterie. Disons qu’il fut des premiers à organiser une troupe armée de révolutionnaires, qu’il a été un des principaux acteurs des journées insurrectionnelles, qu’il laisse un très appréciable témoignage de la « Révolution d’en bas » alors qu’elle fut très souvent étudiée vue d’en haut, faite de  têtes quasi légendaires – souvent tranchées – et non des anonymes déferlant dans Paris, criant leur fureur et leur haine mais aussi les joies triomphantes, ces milliers d’hommes et de femmes répondant au son du tocsin ou des tambours battant la charge. Images superbes, bien différentes de celle dont cinéma et télévision nous ont abreuvés, de foules déguenillées, avinées, assoiffées de sang.

 

Naturellement, une vie aventureuse comme celle de Fournier, je dirais plutôt « tortueuse », n’a pas échappée à la tentation justificatrice ou accusatrice.

 

Je vais essayer d’évoquer les différents regards portés sur le personnage après avoir, d’abord, mis l’accent sur les faits saillants de sa trajectoire biographiques. Une première partie qui n’a pas été sans me poser problème. Comment, sous la pression du temps imparti, concilier la complexité de l’évènement et situer, dans celui-ci, la présence et le rôle de Fournier ?

 

J’ai outrageusement éludé la difficulté, confiant en votre savoir, en votre érudition, à vos réminiscences historiques (Oh ! mânes de MM Imberdis, Manry, Schnerb, Danton , Fousson). Je m’en tiendrai donc à signaler l’évènement en évoquant la présence de l’Américain , sauf à la mettre en relief quand elle semble être d’importance, je pense au 1O août 1792 ou à ses démêlés avec Marat et le club des Cordeliers au printemps 93.         

 

Cliquez pour accéder aux contenu des chapitres suivants

 

2 – L’auvergnat

3 – L’américain

4 – L’engagement

5 - Le patriote

6 – Le réprouvé

7 – L’accusé

8 – Pour conclure…

 

 

 

 

 

Conférence prononcée lors de l’Assemblée générale de l’Association, le 25 novembre 2007

 

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